Quand les cadeaux aux entreprises font exploser la facture (que l’on nous demande de régler !)
Accrochez-vous à vos stylos et à vos convictions, car le moment est venu de plonger avec délectation (amère, certes) dans les abysses insondables du budget de notre douce France. On nous rebat les oreilles avec la dette, les déficits, et, bien sûr, le coût exorbitant de ces fainéants de fonctionnaires qui, entre deux grèves bien imméritées, ruineraient le pays. Ah, le fameux « fonctionnaire bashing », ce sport national qui consiste à désigner l’agent public comme le bouc émissaire idéal de tous nos maux financiers !
Mais si on grattait un peu le vernis de cette propagande éculée ? Si on regardait de plus près où partent réellement nos impôts, avant que Bercy ne nous explique qu’il faut encore nous serrer la ceinture ? Préparez vos loupes, car le voyage risque d’être… instructif.
Le festin des entreprises : 200 milliards d'euros, et vous, vous n’avez plus de papiers pour vous essuyer les mains aux toilettes !
En 2024, tenez-vous bien, les aides publiques aux entreprises ont englouti la bagatelle de 200 milliards d’euros … ! Oui, vous avez bien lu : 200 MILLIARDS ! Ça représente 23,69 % du budget total de l’État (844 milliards d’euros), soit plus de 30 % si on y ajoute les aides des collectivités territoriales…
Source : 200 milliards : le coût exorbitant des aides publiques aux entreprises
Pendant ce temps, on nous explique doctement qu’il n’y a plus un kopeck pour rénover les écoles, augmenter décemment les salaires ou embaucher les collègues qui nous manquent cruellement…. Cherchez l’erreur !
Alors que nos ministères, et particulièrement le nôtre, voient leurs budgets scrutés à la loupe, chaque dépense analysée comme si nous piquions des rouleaux de papier toilette pour nos collections personnelles, il y a un domaine où la cigale chante à pleins poumons sans que personne ne lui demande de justifier ses vocalises : les aides aux entreprises.
Pour bien visualiser l’ampleur du phénomène, imaginez un peu :
Ministère | Budget 2024 (milliards €) | Proportion du budget total (%) | Comparaison avec les aides aux entreprises de 23,69 % du budget total |
Défense | 95,4 | 11,3 % | Les aides aux entreprises sont 2,14 fois plus élevées. |
Éducation Nationale | 86,9 | 10,3 % | Les aides aux entreprises sont 2,35 fois supérieures. |
Intérieur | 32,9 | 3,9 % | Les aides aux entreprises dépassent ce budget de 6,2 fois. |
Solidarités et égalité | 30,3 | 3,6 % | Les aides aux entreprises sont 6,73 fois supérieures. |
Culture | 4,466 | 0,6 % | Les aides aux entreprises sont 45,7 fois plus élevées. |
Santé et accès aux soins | 1,5 | 0,2 % | Les aides aux entreprises sont 136 fois plus élevées. |
Source : Budget de l’État Dépenses par ministère
Avouez que ça donne le tournis ! Pendant qu’on nous serine qu’il faut faire des efforts, que le service public coûte trop cher, on déverse des sommes colossales sur les entreprises, souvent sans véritable contrôle ni évaluation des résultats concrets…. On nous promet le plein emploi, la compétitivité accrue, mais les défaillances d’entreprises et les licenciements continuent, notamment dans des secteurs clés, comme l’industrie et le BTP. Curieux, non
Avec les multinationales au menu, l'argent public arrose les actionnaires
Le plus savoureux (si l’on peut dire) de cette histoire, c’est de constater que ces aides plantureuses atterrissent parfois dans l’escarcelle de multinationales qui se portent comme un charme, engrangent des profits records, pratiquent allègrement l’optimisation fiscale, versent des dividendes plantureux à leurs actionnaires et licencient ….
Prenons quelques exemples concrets :
- Google France a bénéficié d’aides liées à la transition numérique et à l’innovation technologique …. Pourtant, lors d’une audition hilarante (si ce n’était pas si grave) devant une commission d’enquête sénatoriale en mars 2025, les responsables de Google France ont montré une méconnaissance sidérante des aides publiques dont ils avaient profité, notamment le fameux CICE (Crédit d’Impôt pour la Compétitivité et l’Emploi) …. Les sénateurs, visiblement pris d’une crise de nerfs justifiée, ont littéralement « démonté » les représentants de la firme, incapables de fournir des chiffres précis et se retranchant derrière le caractère « automatique » de ces allègements…. On vous invite vivement à visionner cet extrait anthologique où l’on comprend que l’argent public s’évapore parfois sans que les bénéficiaires eux-mêmes n’en aient une idée claire !
Google a réalisé en 2024 un bénéfice net de 100 milliards de dollars.
Source : Q4-2024 : Google explose les compteurs, mais Wall Street fait la moue
Source : « Vous vous foutez de nous ?! » : Les sénateurs craquent, ça dégénère en direct !
- Des entreprises comme Stellantis(bénéfice net 5,5 milliards d’euros), Michelin (bénéfice net 1,89 milliards d’euros) et TotalEnergies (bénéfice net 4,06 milliards d’euros), qui affichent des bénéfices à faire pâlir d’envie n’importe quel État en difficulté, reçoivent également des aides, notamment pour la transition écologique ou la maîtrise des prix de l’énergie, tout en continuant à gaver leurs actionnaires de dividendes ….
Sources : Stellantis résultats de l’année 2024 – Michelin publie un bénéfice en baisse en 2024 – TotalEnergie Résultats du quatrième trimestre 2024 et de l’année 2024
- Un cas d’école, Sanofi, notre champion tricolore du labo ! On apprend dans les coulisses d’une commission d’enquête que l’entreprise est une adepte du Crédit d’Impôt Recherche (CIR). Figurez-vous que, sur l’assiette de ce CIR, 85% des dépenses étaient liées à de la sous-traitance, dont un coquet montant de 4 millions d’euros a traversé nos frontières pour l’Allemagne. On imagine nos sénateurs, un brin chafouins, demandant des comptes sur ces pratiques. Pendant ce temps, Sanofi, fort d’un bénéfice net mirobolant de 5,74 milliards d’euros et d’un bénéfice net par action de 7,12 € en 2024, veut supprimer plus de 300 postes en France dans ses équipes de recherche. On pourrait presque entendre les caisses de l’État chanter “allez l’Allemagne, allez l’Allemagne” pendant que les employés français se demandent à quelle sauce de l’emploi ils vont être “recherchés” ! Heureusement, la justice s’en est mêlée pour l’instant. Drôle de manière de remercier la générosité publique, n’est-ce pas ?
Sources : Sanofi accroît sa rentabilité en 2024 – Résultats de l’année 2024 – Sanofi : la justice annule un plan prévoyant 325 suppressions d’emplois
Fonctionnaire bashing et services publics : Les boucs émissaires idéaux ?
Alors, bien sûr, quand les caisses de l’État toussent, qui accuse-t-on ? Les dépenses publiques, pardi ! Et qui sont les symboles de ces dépenses, si ce n’est les fonctionnaires et les services publics ? On nous serine à longueur de journée que nous coûtons trop cher, que nous sommes responsables de l’endettement abyssal de la France.
Qu’entendons-nous ? Qu’il faut allonger l’âge de la retraite et diminuer les indemnités journalières en cas d’arrêt maladie (jusqu’à 17 % de baisse pour certains salariés à partir d’avril 2025). En clair, on nous demande, à nous citoyens et fonctionnaires, de payer les pots cassés de ces cadeaux dispendieux aux entreprises…. On nous explique que c’est nécessaire pour réduire la dette, alors que les économies ainsi réalisées (60 milliards d’euros prévus en 2025) … ne représentent qu’une fraction (environ 29 %) du montant faramineux des aides aux entreprises (204 milliards d’euros) …. Cherchez l’erreur, bis repetita !
Comparons encore un peu :
Mesure | Montant annuel |
Aides publiques aux entreprises | 200 milliards € estimé 2025 |
Économies sur la réforme des retraites | ~17 milliards € estimé 2030 |
Réduction IJ arrêt maladie | ~0,9 milliard € estimé 2025 |
Sources : Retraite : le vrai rendement – Budget 2025 : le Sénat réduit l’indemnisation des agents en arrêt-maladie
La France ! Championne du monde de la dette et de la générosité … Pendant que nous fonctionnaires devrons nous serrer la ceinture à tel point que nous pourrions utiliser nos nombrils comme bouton de pantalon, notre Lucky Luke national, d’un claquement de doigts plus rapide que son ombre, dégaine 2 milliards d’euros pour l’Ukraine. Et attention, ce n’est pas de la menue monnaie : chars, munitions, missiles et drones, rien que ça !
Pendant ce temps, l’Action Sociale Interministérielle (ASI), ce petit coup de pouce pour nos agents les plus modestes, voit son budget raboté de près de 30 millions d’euros. On leur supprime la prime de pouvoir d’achat en 2025, la GIPA (garantie individuelle du pouvoir d’achat) est aux oubliettes, et même l’aide pour le maintien à domicile (AMD) prend une claque de 1,5 million d’euros. N’oublions pas la baisse de 10 % du taux d’indemnisation des congés de maladie ordinaire et le recul de l’âge de la retraite à 64 ans.
On imagine les réunions au ministère : “Bon, les amis, pour l’Ukraine, on sort le chéquier sans sourciller. Pour l’ASI ? Ah bah faut faire des économies, hein ! Peut-être que les agents pourront se cotiser pour se payer des tickets resto … ukrainiens, tiens !” Quelle élégance dans la gestion des priorités !
Le contraste est saisissant. On rogne sur nos droits sociaux, on repousse l’âge de départ à la retraite, on diminue nos revenus en cas de maladie, alors que des milliards continuent de s’envoler vers des entreprises qui n’en ont souvent pas besoin, voire qui contribuent peu au budget de l’État via l’impôt sur les sociétés.
Sources : “On est à un point de rupture”, alertent quatre syndicats de la fonction publique avant la mobilisation du 3 avril – Action sociale interministérielle : les syndicats alertent sur une nouvelle envolée de la sous-consommation des crédits – Action sociale interministérielle : les syndicats alertent sur une nouvelle envolée de la sous-consommation des crédits
Alors, chers collègues, continue-t-on à faire le dos rond pendant que les budgets fondent plus vite qu’une glace au soleil d’août ?
On nous parle de rigueur budgétaire pendant que d’autres secteurs semblent moins touchés. Franchement, si on attend sagement dans notre coin que les choses s’améliorent par magie, on risque d’attendre longtemps, très longtemps ! Il est grand temps de sortir de nos classes et de montrer un peu de “collectif”.
Si chacun tire la couverture de son côté, on finit tous enrhumés ! Alors, pour une fois, au lieu de corriger des copies jusqu’à minuit, pourquoi ne pas prendre une adhésion à un syndicat ?
Ce n’est pas le Pérou, mais figurez-vous que plus on est nombreux à pousser dans le même sens, plus les négociations auront du poids. Alors, on se motive, on se syndique, et on fait entendre notre voix, parce qu’à force de nous la couper, on ne peut plus travailler et enseigner correctement, ni même vivre décemment pour nombre d’entre nous !
Seul, on subit. Ensemble, on agit !
Le bureau académique Action & Démocratie